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Sauver le soldat gestion active

Aswath Damodaran est professeur de finance à la Stern School of Business de l’Université de New York (NYU) et travaille notamment sur des sujets liés à la valorisation des sociétés.

Il a récemment écrit dans son blog Musings on markets sur les maux de la gestion active.

Dans un premier post, il a expliqué les transferts massifs de la dernière décennie des fonds gérés activement vers les fonds indiciels par les mauvaises performances de la gestion active. Lisez ce post, vous y trouverez d’intéressantes statistiques sur cette sous-performance collective maintenant très bien documentée.

Dans un second post, Damodaran présente un diagnostic des maux dont souffrent les fonds gérés activement et propose aux investisseurs quelques pistes de réflexion pour profiter de la gestion active.

En voici une synthèse.

Les racines du mal

Selon Damodaran, la gestion active souffre de quatre maux principaux.

  • Un monde de l’investissement plus « plat »

Dans une analogie avec le best-seller de Thomas L. Friedman « The World is Flat » paru en 2005 chez Farrar, Straus & Giroux, (Traduction française « La terre est plate », 2010, Librairie Académique Perrin), Damodaran considère que la globalisation a également touché le monde de la gestion d’actifs.

Tous les investisseurs ont, grâce aux technologies numériques, un accès en temps quasi réel aux mêmes informations et données : en d’autres termes, l’avantage informationnel dont disposaient les investisseurs institutionnels a disparu.

Damodaran rejoint ainsi la thèse que Charley Ellis avait exposée dès 1975 dans son célèbre article du Financial Analyst Journal, The Loser’s Game (voir ma Semaine Twitter 51).

  • Une absence de philosophie d’investissement

Pour Damodaran, une philosophie d’investissement est un jeu de convictions fondamentales liées au comportement des marchés, qui donne naissance aux stratégies d’investissement.

Il n’en voit pas dans la monde des gérants actifs, se proclamer gérant value, ou gérant à la Buffett, ou gérant intéressé par les titres décotés ne tenant pas lieu de philosophie d’investissement.

Deux conséquences à cette absence de colonne vertébrale : manque de cohérence, les gérants actifs passant d’une stratégie à l’autre en fonction des résultats passés, et suivisme.

  • Des structures de coûts non compétitives

Damodaran distingue trois grandes familles dans les coûts facturés aux investisseurs : les coûts de transaction (qui sont élevés quand les gérants sans philosophie d’investissement passent d’une stratégie en vogue à une autre), les frais généraux liés à l’existence d’une infrastructure de gestion active bâtie à une époque maintenant révolue, et les frais de gestion.

Cette structure de coûts empêche tout simplement les gérants actifs de surperformer.

  • Des stratégies de protection de carrière

Les gérants actifs sont des êtres humains dont les motivations principales sont d’augmenter leur rémunération et de conserver leur poste.

Leur rémunération dépendant pour partie de leurs actifs sous gestion, les gérants actifs ont une forte incitation à continuer d’accepter des flux dans leurs fonds, même au-delà du seuil de viabilité des stratégies (ce qui dégrade bien entendu les performances).

Par ailleurs, comme il est plus confortable d’avoir tort avec le plus grand nombre que d’avoir raison tout seul, de nombreux gérants se contentent d’être médiocres en collant à leur indice.

Dans la sphère institutionnelle, les gros fonds sont des closet indexers (des fonds qui se prétendent gérés activement mais sont en réalité quasi indiciels) et sous-performent donc l’indice du niveau de leurs frais, ce qui n’est pas assez pour que les gérants soient licenciés.

Comment profiter de la gestion active avec succès ?

Pour les investisseurs qui croient en la gestion active, Damodaran propose quelques pistes de réflexion consistant à exploiter les faiblesses de la communauté des investisseurs institutionnels utilisant cette gestion. 

  • Avoir une philosophie d’investissement

Puisque la plupart des gérants actifs n’en ont pas, c’est aux investisseurs d’en avoir une.

Damodaran ne fournit pas de recette miracle, la bonne philosophie, c’est celle qui  convient à votre vision des marchés et à votre personnalité et vos objectifs et contraintes. Problème : il n’est pas à la portée de tout le monde de la définir.

  • Tempérer la foi avec le retour d’expérience

L’investisseur actif doit avoir foi dans sa philosophie tout en acceptant d’avoir tort sur les détails et doit être prêt à exploiter les retours d’expérience pour modifier ses décisions d’investissement.

  • Trouver son avantage concurrentiel

Ce qui distingue l’investisseur actif n’a pas à être unique mais doit être rare et difficile à répliquer. Damodaran propose quatre pistes.

  1. Etre en phase avec ses clients : pour les conseillers financiers, ceci implique de ne travailler qu’avec des clients partageant leur philosophie d’investissement. Il faut donc en avoir une (philosophie d’investissement), la faire partager à ses clients et avoir la force de refuser de travailler avec des clients qui n’y adhèreraient pas. Ambitieux.
  2. Vendre de la liquidité : quand la majorité des investisseurs demandent de la liquidité, il est rémunérateur d’être capable d’en vendre. Aléatoire.
  3. Profiter de considérations fiscales : ce point s’applique surtout aux investisseurs états-uniens et me semble peu pertinent pour les investisseurs français.
  4. Avoir une vue d’ensemble : dans un monde de spécialistes, les généralistes ayant une bonne vue d’ensemble peuvent tirer leur épingle du jeu. Tout le monde n’est pas Pic de la Mirandole.

Autant je partage le diagnostic de Damodaran sur les racines du mal affectant la gestion active, autant je suis réservé sur ses propositions pour profiter des faiblesses des grands acteurs institutionnels, qui ne s’adressent qu’à une infime minorité d’investisseurs très sophistiqués.

Je suis beaucoup plus en phase avec la conclusion d’un excellent post de Barry Ritholtz

Il y a une place pour la gestion active dans les portefeuilles, mais les chausse-trapes abondent. Soyez prudents.

Et avec ce qu’écrit Phil Huber, CFA, éditeur du blog bps and pieces, dans ce remarquable post dans lequel Peter Lazaroff, CFA, a sollicité quelques bloggeurs financiers pour partager en moins de 140 caractères leur vision de la finance.

Le marché est un endroit où découvrir qui vous êtes coûte cher. Analysez et seulement après avoir analysé, investissez. Si vous n’en avez ni le temps, ni l’envie, utilisez des fonds passifs.

 

 

 

 

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