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Paru ailleurs

L’éternel retour de la gestion active

Vladimir et Estragon, des vagabonds, attendent un certain « Godot » dans un lieu indéterminé (« Route de campagne avec arbre ») à la tombée de la nuit. Godot ne vient pas. Un jeune garçon, qui se dit envoyé par Godot, annonce à Vladimir et Estragon que Godot viendra le lendemain.

Le lendemain, Godot ne vient pas. Le même jeune garçon revient dire à Vladimir et Estragon que Godot viendra demain. La pièce se termine. Godot n’est pas venu.

Vous avez peut-être reconnu En attendant Godot de Samuel Beckett (1906-1989).

Et si Godot, c’était la gestion active ? Ou plus exactement, une gestion active qui remplirait son mandat, à savoir battre son indicateur de référence ?

Tous les ans, il se trouve des gérants actifs et des distributeurs de fonds gérés activement pour déclarer gravement que Godot va bientôt arriver :

20xx, c’est certain, sera l’année du grand retour de la gestion active.

Avec des arguments imparables : le retour de la volatilité, l’augmentation de la dispersion des performances entre valeurs, le poids des stupides fonds indiciels incapables de trier le bon grain de l’ivraie au sein des marchés.

Tous les ans, la gestion active échoue collectivement à battre un indicateur de référence pertinent (ce que montre depuis 20 ans l’étude SPIVA réalisée par S&P DJ Indices), ou, plus grave, ses concurrents indiciels (ce que montre le Morningstar Active/Passive Barometer).

Deux chiffres : selon l’étude SPIVA, sur 10 ans, à fin 2022, 96% des fonds actions France ayant survécu sur toute la période ont délivré une performance inférieure à celle de l’indice S&P France BMI. Pour les fonds actions monde, c’est encore pire : 98% ont délivré une performance inférieure à celle de l’indice S&P Global 1200.

Avec la (mauvaise) foi du charbonnier, les mêmes gérants actifs et distributeurs de fonds gérés activement ânonnent une vérité première :

C’est dans la baisse que la gestion active brillera de mille feux par rapport à la gestion indicielle.

2022 fut une année de baisse : tant pour les marchés actions que pour les marchés obligataires. Avec une volatilité en hausse et une forte dispersion des performances. Les conditions idéales pour que la gestion active redevienne surperformante, si l’on doit en croire les oracles, d’autant plus que les banques centrales avaient cessé d’être accommodantes.

Carrramba ! Encore rrraté !

Toujours selon l’étude SPIVA, en 2022, 88% des fonds actions France ayant survécu sur toute la période ont délivré une performance inférieure à celle de l’indice S&P France BMI et 79% des fonds actions monde ont délivré une performance inférieure à celle de l’indice S&P Global 1200.

Mais, me direz-vous, S&P DJ Indices étant un fournisseur d’indices, qu’est-ce que nous dit que l’étude SPIVA n’est pas manipulée ?

Oui, c’est vrai, qu’est-ce que nous dit que Neil Armstrong a bien marché sur la lune et que la terre est vraiment ronde ?

Prenons une autre source, avec moins de conflits d’intérêts : UBS. Dans une note de recherche de la banque suisse, on apprend que les fonds actions gérés activement en Europe ont délivré en 2022 leur pire sous-performance depuis deux décennies, avec un alpha négatif moyen de 4,13 points de pourcentage. Soit bien plus que leur niveau de frais moyen.

En 2022 non plus, Godot n’est pas venu.

L’écosystème de la gestion d’actifs et de la distribution de produits gérés activement est devenu une usine à produire des excuses sur sa sous-performance et à promettre l’arrivée prochaine de Godot.

La gestion active souffre de deux maux : les gérants actifs sont de plus en plus nombreux et de mieux en mieux formés. Quand tous les joueurs sont de haut niveau, la surperformance est plus difficile à délivrer.

Et la gestion active ploie sous ses propres frais, bien trop élevés pour lui permettre de surperformer sur moyen et long terme. Ce dernier travers est rédhibitoire à l’ère des produits indiciels à très bas coûts.

Mais c’est promis, en 2023, Godot arrive. A Pâques. Ou à la Trinité.

Cette chronique, rédigée le 19 avril 2023, est parue initialement dans le numéro de mai 2023 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de pages, ni les liens.

Illustration : Affiche du film L’éternel retour, réalisé par Jean Delannoy

2 réponses sur « L’éternel retour de la gestion active »

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