L’épargnant français a longtemps été incarné par la veuve de Carpentras, personnage quasi mythologique se reposant sur son banquier pour faire prudemment fructifier son épargne.
Plusieurs chocs violents ont mis à mal son appétence pour la bourse : krach de 1987, explosion de la bulle internet au début des années 2000, grande crise financière des subprimes en 2008.
Résultat : une baisse régulière du nombre d’actionnaires en France.
Jusqu’à la pandémie. Confinés chez eux, ne pouvant dépenser comme d’habitude, s’ennuyant, les petits-enfants de la veuve ont retrouvé les joies de la bourse, en dépit de la baisse importante et brutale des indices en février et mars 2020.
Bien leur en a pris, puisque ces mêmes indices ont rapidement effacé leur baisse, certains d’entre eux délivrant même des performances très honorables en 2020.
Aux Etats-Unis, c’est Robinhood (voir ici ma chronique, Pinocchio des Bois) qui symbolise le retour des particuliers (retail investors) en bourse. Mais pas seulement : les courtiers plus anciens ont également vu le nombre d’ouvertures de comptes exploser.
Robinhood et tous ses excès : gamification, exploitation jusqu’à la nausée des ressorts psychologiques les plus dévastateurs des investisseurs, attrait irrésistible du zéro commission (qui finit par coûter plus cher aux utilisateurs que le coût du courtage chez cet acteur lourdement condamné par la SEC).
Le tout culminant avec l’incroyable affaire GameStop, symbole de la nouvelle puissance des investisseurs privés, décuplée par les stéroïdes des réseaux sociaux.
Citadel Securities estime que les particuliers ont représenté 20% des transactions boursières aux Etats-Unis l’an dernier, contre 10% en 2019.
En France aussi, à une échelle beaucoup plus modeste, nous avons vu le retour des particuliers en bourse, voire l’arrivée de nouveaux investisseurs, plus jeunes et plus actifs, depuis le début de la pandémie : le fort utile tableau de bord trimestriel des investisseurs privés actifs de l’AMF nous l’a rappelé.
Comment les appelle-t-on ces particuliers actifs en bourse ? Aux Etats-Unis, « Mom and Pop », « Muppets », « The dumb money » ; en France on a donc la Veuve de Carpentras, les « petits porteurs », ou pire encore, les « boursicoteurs ». Il conviendrait de remiser aux oubliettes ces termes méprisants.
Mais voilà, investir (en actions ou en fonds), ça n’est pas facile. Le salut viendra de l’éducation financière, dont tous les acteurs de l’écosystème reconnaissent l’importance. Durant la semaine du 22 mars a eu lieu la 9è édition de la Global Money Week de l’OCDE. Une semaine consacrée à l’éducation financière. En France, le thème était « Prenez soin de vous et de votre argent ».
Notre stratégie d’éducation financière, récente, est pilotée par la Banque de France, entourée de partenaires. Parmi ces partenaires, des ministères, des associations de consommateurs, des associations professionnelles.
Je m’attendais à ce que les représentants des professions du conseil et de la gestion s’associent avec enthousiasme à cet effort indispensable. Or seulement une des quatre associations CIF (l’Anacofi) est partenaire. Et l’AFG (Association Française de Gestion) ne l’est pas. Incompréhensible et inquiétant.
Robinhood, entité aux pratiques peu ragoûtantes, a sur son site internet une rubrique éducation financière fort développée et de bonne qualité. J’en ai vainement cherché l’équivalent sur les sites des banques, des assureurs, des courtiers en ligne, des sociétés de gestion ou des conseillers financiers en France.
Un épargnant non éduqué n’est pas un épargnant qui fait confiance. Un épargnant non éduqué n’est pas un épargnant qui prend des risques. Un épargnant non éduqué n’est pas un épargnant qui finance l’économie réelle.
La Veuve de Carpentras 2.0 a un besoin vital d’éducation financière. Aujourd’hui, elle ne peut être éduquée que par les acteurs de l’écosystème.
A ces derniers de mettre leurs pratiques en adéquation avec leurs déclarations d’intention : des actions tangibles plutôt que des vœux pieux.
Eduquons, que diable.
Illustration : Photo de Andrey Gordeev sur behance.net (lien pinterest)
Cette chronique est parue initialement dans le numéro d’avril 2021 de Gestion de Fortune, sans les illustrations ni les liens.
2 réponses sur « Carpentras 2.0 »
Pourquoi devrions nous nous éduquer à la finance quand la gestion de notre retraite est confiée pour l’essentiel confiée à des organismes plus ou moins étatistes? Les seuls pays où l’épargnant s’éduque sérieusement sont ceux où il est contraint de le faire par une gestion individuelle de sa retraite. Il n’y aura pas d’éducation financière sans système de retraite par capitalisation.
C’est exact, mais la gouvernance de ce système exceptionnel de répartition ou de « solidarité entre les générations » pose question. Les Français sont aujourd’hui des consommateurs de retraite déresponsabilisés. Ils gagneraient probablement en comprenant mieux les questions techniques que posent le reste du monde afin de contribuer intelligemment au débat qui a été reporté mais qui sera probablement rouvert.