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Paru ailleurs

La guerre est déclarée

Rassurez-vous, je ne vais pas pontifier sur la guerre en Ukraine. Non, la guerre dont je parle, c’est celle déclarée par la frange la plus extrémiste du parti républicain aux Etats-Unis à l’ESG.

Cette faction se place régulièrement sur le champ de « valeurs » pour dresser son électorat contre des ennemis. Comme prétextes à la discorde, il y eut dans le passé le « wokisme » (« wokeness ») ou la « théorie critique de la race » (« critical race theory »).

Et aujourd’hui, il y a donc l’ESG, qui serait une forme de « wokisme » pratiquée par des entités dont il nous avait jusque là échappé qu’elles étaient subversives : les grands gérants d’actifs, et particulièrement les 3 géants de l’indiciel que sont BlackRock, Vanguard et SSGA.

La guerre a commencé en juin 2021 quand l’Etat riche en pétrole à majorité républicaine du Texas a voté une loi (« SB 13 ») interdisant aux institutions financières publiques locales de travailler avec les sociétés boycottant les énergies fossiles.

SB13 était difficilement applicable sans une définition précise de ce qu’était le boycott des énergies fossiles. Le contrôleur général des finances du Texas apporta donc les précisions manquantes le 24 août dernier, en publiant une liste de 10 institutions financières qui boycotteraient les sociétés du secteur de l’énergie, complétée par une liste de 350 fonds coupables du même délit.

Parmi les 10 délinquants, 9 entités européennes et une seule étatsunienne, BlackRock, le plus gros gérant d’actifs au monde, dont le PDG, Larry Fink, s’était converti en 2019 à la lutte contre le réchauffement climatique, avant de mettre un peu d’eau dans son vin. BlackRock a en effet indiqué début 2022 que son équipe Stewardship voterait en faveur de moins de résolutions climatiques que l’année précédente, car elle les trouve souvent trop « prescriptives ».

Parmi les Européens, BNP Paribas, Crédit Suisse, Schroders, UBS et des Scandinaves.

Le Gouverneur de Floride, le Républicain Ron deSantis, a suivi l’exemple du Texas en faisant voter une résolution interdisant aux fonds de pension locaux d’utiliser un prisme ESG dans leurs décisions d’investissement. Dans son communiqué, une rhétorique d’un autre temps, mais sans doute très efficace auprès de son électorat :

Nous réaffirmons la primauté de la gouvernance républicaine sur la gouvernance d’entreprise et donnons la priorité à la sécurité financière du peuple de Floride sur des notions fantasques de lendemains utopiques.

19 procureurs généraux (« Attorneys General ») d’Etats républicains ont écrit début août une lettre assez menaçante à Larry Fink, dans laquelle ils affirment que BlackRock utiliserait l’argent des citoyens pour mettre la pression sur les entreprises afin qu’elles se conforment aux Accords de Paris.

Or, rappellent les procureurs, les Etats-Unis n’ont pas ratifié lesdits accords.

Ce sont les Sénateurs élus par les citoyens de ce pays qui déterminent quels traités internationaux ont force de loi, pas BlackRock.

Fort heureusement, les procureurs généraux des Etats ont peu de prérogatives vis-à-vis des gérants d’actifs. Mais ils peuvent néanmoins interdire aux fonds de pension publics de leur Etat de confier des mandats aux sociétés de gestion qui pratiquent l’ESG.

Comment cette guerre menée contre l’ESG par quelques Etats des Etats-Unis peut-elle impacter l’Europe ?

Elle peut nous affecter car les fournisseurs de données extra-financières étant majoritairement étatsuniens, ils pourraient modifier à la marge leur approche afin de donner quelques gages à la frange anti-ESG du parti Républicain.

Leur grille de lecture idéologique étant déjà très alignée avec les pratiques de ce que l’on qualifie souvent en Europe de capitalisme anglo-saxon, celui de Milton Friedman1, elle serait encore moins compatible avec le capitalisme des parties prenantes prôné par l’Union Européenne.

Nous avons beaucoup à y perdre car il n’y a pas de fournisseur de données extra-financières de poids de ce côté-ci de l’Atlantique.

Cette chronique, rédigée le 13 septembre 2022, est parue initialement dans le numéro d’octobre 2022 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de pages, ni les liens.

Illustration : image tirée du film Monty Python sacré Graal de Terry Gilliam et Terry Jones

  1. « [T]here is one and only one social responsibility of business—to use its resources and engage in activities designed to increase its profits so long as it stays within the rules of the game, which is to say, engages in open and free competition without deception fraud. »

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