Catégories
Paru ailleurs

Haro sur le gérant star

Dans la très longue histoire de France, on remarque une présence familière, celle de l’homme providentiel : celui qui va bouter les Anglais hors de France (l’homme providentiel ayant pu être une femme, Jeanne d’Arc en l’occurrence), sauver le pays menacé, restaurer sa splendeur passée.

Cette figure se retrouve aujourd’hui dans de nombreux secteurs, dont celui de la gestion d’actifs, où elle prend la forme du gérant star.

Pour que le gérant star advienne, il faut 3 composants : un gérant, des médias et des investisseurs (j’inclus dans cette population celle des intermédiaires qui commercialisent les fonds).

Le gérant délivre une performance excellente sur une période assez courte. Les médias financiers remarquent cette performance et demandent au futur gérant star la recette de sa potion magique. Le gérant se prend au jeu, avec l’accord de son employeur : top down, bottom up, présence sur le terrain, DCF, à chaque future star son pitch.

Untel décrypte le sous-texte des banques centrales, comme les haruspices lisaient l’avenir dans les entrailles des animaux sacrifiés, et prévoit la crise de 2008, délivrant une performance positive dans un océan de baisses ; tel autre passe au peigne fin une cote des petites et moyennes valeurs qu’il connaît comme sa poche et pulvérise son indice de référence composé de grandes capitalisations ; tel autre enfin passe sa vie dans son jet privé pour aller à la rencontre des leaders de demain dans les pays émergents : « Boots on the ground. »

La starisation est en marche : couvertures de magazines (« Le prochain Warren Buffett ? »), titres hyperboliques (« L’homme qui n’arrête pas de gagner de l’argent »), déclarations choc à la télévision (« Selon l’investisseur légendaire, le Dow pourrait atteindre le niveau de 650 000 dans 50 ans »).

Bienvenue dans la fabrique du gérant star ! Le cocktail performance passée + forte présence médiatique est puissant. Certes, les performances passées ne préjugent pas des performances futures et ne sont pas constantes dans le temps, mais quand même, une bonne performance passée et une présence dans les médias, ça aide à vendre !

5 étoiles ! Performance positive en 2008 ! 20 points de surperformance par rapport à son indicateur de référence l’an dernier ! Vu à la télé !

Les réseaux de distribution se mettent en branle, les fonds du gérant intègrent les « Best Buy Lists ».

Peu importe que le gérant star soit entouré d’une équipe d’analystes dont on ne parle jamais, qu’il se compare à un indice grandes capitalisations alors qu’il investit dans des petites et moyennes capitalisations, ou que sa performance de 2008 n’ait jamais été renouvelée.

Tant qu’il n’y a pas de catastrophe majeure, l’idole reste arrimée à son piédestal.

Mais parfois, la catastrophe advient : « l’homme qui n’arrête pas de gagner de l’argent » (« The man who can’t stop making money », titre rétrospectivement très embarrassant d’un article d’un journaliste de la BBC publié en juin 2015), c’est Neil Woodford.

Neil Woodford, c’était l’uber-gérant star au Royaume-Uni, « le Warren Buffett d’Oxford ». En 5 mois, il est tombé de son piédestal, terrassé par son appétit pour les titres non cotés. Il entraîne dans sa débâcle de nombreux investisseurs qui avaient cru au conte de fée de l’homme qui n’arrête pas de gagner de l’argent. Et qui n’ont toujours pas récupéré le leur.

Le gérant star, c’est un risque élevé pour les investisseurs, pour la société de gestion qui l’emploie et pour les investisseurs. Le gérant star est une anomalie, une espèce dont j’espère qu’elle est en voie d’extinction.

A chacun de faire autrement son travail : aux sociétés de gestion de ne plus mettre en avant un individu, aux médias d’arrêter de rechercher le prochain Warren Buffett, aux intermédiaires de faire leur travail de sélectionneurs en allant au-delà de la performance passée et aux investisseurs d’arrêter de croire au Père Noël.

L’avantage d’un indice très diversifié par rapport à un gérant star, c’est qu’on en tombe rarement amoureux.

Cet article est paru initialement dans le numéro de décembre 2019 de Gestion de Fortune, sans les illustrations.

Illustration : The Beatles wave to fans after arriving at Kennedy Airport. Date : 7 février 1964.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.