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Paru ailleurs

(Im)pitoyable

L’AMF est l’autorité de régulation des intermédiaires autorisés à fournir des services d’investissement ou des conseils en investissements financiers, dont les banques et les conseillers en investissements financiers (CIF).

Elle réalise depuis 2010 des visites mystère en agences bancaires pour vérifier si la réglementation MIF 2 est correctement appliquée par les conseillers en contact avec une clientèle privée.

Son objectif ? Observer du point de vue de l’épargnant si l’information fournie par les établissements financiers permet d’éclairer sa décision d’investissement.

On ne peut pas dire que les résultats de la dernière campagne de visites mystère réalisée entre juin et octobre 2022 auprès des 11 principales banques à réseau1 actives en France soient très encourageants.

Deux campagnes ont été menées : l’une impliquait un prospect risquophile, l’autre un prospect risquophobe.

Lors des rendez-vous, le visiteur mystère a d’abord laissé le conseiller proposer les produits de manière spontanée. Dans un second temps, le visiteur a demandé au conseiller des conseils sur des fonds d’investissement sous forme d’OPCVM classiques, sur des ETF et sur des fonds responsables ou durables.

Par rapport aux précédentes vagues de visites mystère (2015 et 2018), l’AMF note une certaine amélioration :

De façon générale, la majorité des établissements semble avoir amélioré la prise en compte des obligations relatives à MIF 2 sur le questionnement client.

Mais il subsiste de gigantesques trous dans la raquette : dans une visite sur deux par exemple, le sujet de la tolérance au risque des clients n’a pas été abordé.

C’est encore pire quand on aborde la question du type de conseil : indépendant ou non indépendant au sens de la directive MIF 2.

Les prestataires ont l’obligation d’informer leurs clients du type de conseil avant de fournir un conseil d’investissement. Dans près de 70% des cas, le conseiller n’a pas indiqué au visiteur mystère s’il procédait à du conseil indépendant ou non.

L’AMF en fait le reproche aux banques, tout en faisant exactement la même chose sur son propre site : dans les guides à destination du public sur le conseil en investissement financier, aucune mention n’est faite des deux types de conseil.

Notons que ni le site de l’ORIAS ni ceux des associations de CIF ne permettent de rechercher un conseiller selon le critère de l’indépendance ou de la non-indépendance, ce qui est à pleurer.

Sur la présentation des frais, c’est également catastrophique : ils ne sont mentionnés pour les enveloppes PEA et compte-titres que dans 5 (« risquophobes ») ou 6 (« risquophiles ») visites sur 10.

Quant aux frais de gestion des unités de compte, ils ne sont présentés que dans 13% (« risquophiles ») ou 26% (« risquophobes ») des cas !

Il y a aussi le cas du rapport d’adéquation que tout conseiller doit remettre systématiquement à l’épargnant : il n’a été fourni que dans 8 % des cas aux « risquophiles » et 11 % aux « risquophobes ».

Ces visites mystère ne sont pas des missions de contrôle. L’AMF va en restituer les résultats aux banques concernées lors de réunions bilatérales. Peut-être qu’elles auront droit à une petite tape sur la main et que l’AMF leur demandera de faire un petit peu moins mal pour la prochaine vague de visites.

Je me demande s’il n’y a pas là une monumentale différence de traitement entre les puissantes banques et les conseillers en investissements financiers.

Jean-Denis Errard, qui fut jusqu’à fin 2022 le rédacteur en chef de Gestion de Fortune, vient de publier un excellent « Anti-manuel de l’épargnant » dans lequel il s’appuie sur les fables toujours actuelles de Jean de La Fontaine.

La licence à ne pas respecter la réglementation octroyée aux banques en France m’a fait penser à une célèbre fable, « Les animaux malades de la peste » :

« Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »

Impitoyable avec les faibles, pitoyable avec les forts. Ainsi va le monde de toute éternité.

Cette chronique, rédigée le 20 mars 2023, est parue initialement dans le numéro d’avril 2023 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de pages, ni les liens.

Illustration : Vignette gravée sur bois, destinée à illustrer les Fables de Jean de La Fontaine avec les dessins de Gustave Doré. Louis Hachette (Paris), 1867. 2 vol. Tome 2, p. 6. Bibliothèque nationale de France.

  1. Banque Populaire, BNP Paribas, Caisse d’épargne, CIC, Crédit Agricole, Crédit Mutuel Arkéa, Crédit Mutuel du groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale, HSBC, La Banque Postale, LCL, Société Générale.

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