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Payer moins pour gagner plus

Il y eut pendant la campagne présidentielle 2007 de Nicolas Sarkozy le célèbre « Travailler plus pour gagner plus ». Frappé au coin du bon sens. Méritocratique. Percutant.

Il est une autre façon de gagner plus, c’est de payer moins. En pleine pandémie par exemple, un même plein d’essence coûtait moins cher. Mais c’était conjoncturel.

Une façon structurelle de gagner plus en payant moins, c’est en mettant dans un portefeuille financier des produits de placement moins chers.

Cette vérité révolutionnaire, c’est l’institution la moins révolutionnaire de France qui s’en fait le héraut : le Sénat, dont la commission des finances vient de publier un rapport sur la protection des épargnants, dans le titre duquel on retrouve le slogan « Payer moins pour gagner plus ».

Révolutionnaire. Il était temps.

Les sénateurs ont placé leur rapport sur le terrain du pouvoir d’achat : selon eux, « les épargnants ne doivent pas être contraints par un marché de l’épargne trop captif et insuffisamment rentable. » Diantre. Un marché trop captif ?

Dwight D. Eisenhower, avant d’être le 34è président des Etats-Unis d’Amérique, fut un des plus grands généraux de l’U.S. Army. En dépit de ce passé militaire, il nomma dans son discours de fin de mandat diffusé à la télévision le 17 janvier 1961 une grande menace intérieure : le complexe militaro-industriel (military-industrial complex).

Il existe en France un complexe industriel des banques et des compagnies d’assurance, qui contrôle une grande partie de la distribution de produits de placement et continue de référencer des produits gérés activement à frais élevés afin de pouvoir rémunérer des réseaux de distribution par le biais de rétrocessions.

Rétrocessions dont le rapport du Sénat dit qu’elles encouragent « le distributeur à […] orienter [l’épargnant] vers le produit présentant le plus haut niveau de commissionnement1. »

Ce complexe empêche le développement de la gestion indicielle à bas coûts, celle-là même qui permettrait de rendre du pouvoir d’achat aux épargnants. De gagner plus en payant moins.

Révolutionnaire, ma non troppo : la commission des finances ne va pas jusqu’à suggérer l’interdiction des rétrocessions (pas plus que l’AMF d’ailleurs), mais demande que soient étudiées les conséquences d’une éventuelle interdiction.

En revanche, elle demande l’interdiction d’une scélérate particularité française, celle des commissions de mouvement. Ayant été auditionné, j’avais pu en dire tout le mal qu’il fallait en penser. Je suis très heureux d’avoir été entendu et le serai encore plus (heureux) quand l’AMF aura mis fin à cette honte nationale.

Le rapport du Sénat, après avoir illustré le poids des frais sur le long terme, conclut que « toute baisse des frais, même de l’ordre de quelques dixièmes de point de pourcentage, se traduirait par un gain de plusieurs milliers d’euros pour les épargnants à long terme. »

Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, s’est lui aussi irrité du niveau élevé des frais des Plans d’Epargne Retraite :

Je considère que les acteurs du marché prennent des commissions excessives par rapport à ce qui doit être fait.

Il faut dire que les concepteurs de produits ont eu la main très lourde, partant du principe que l’attrait de l’avantage fiscal rendait l’épargnant peu regardant sur les frais.

Le rapport du Sénat parle de « cécité fiscale » et recommande de rendre obligatoire le référencement de produits indiciels à bas coûts dans tous les produits d’épargne fiscalement avantagés.

Il n’y a pas de concurrence sur le marché de l’épargne en France. Le système des rétrocessions freine la baisse des frais car aucune des parties prenantes n’y a intérêt. Ni les sociétés de gestion, ni le complexe banque-assurance, ni les vendeurs de produits.

Si le verrou ne saute pas, Boursorama et BlackRock mettront tout le monde d’accord avec leur PER à moins de 1% de frais annuels.

Payer moins pour gagner plus, une vérité puissante dont l’heure est enfin venue.

Cette chronique est parue initialement dans le numéro de novembre 2021 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de pages, ni les liens.

Illustration : La Liberté guidant le peuple (1830) – Eugène Delacroix – Musée du Louvre

  1. C’est moi qui souligne en italique.

3 réponses sur « Payer moins pour gagner plus »

Maître, j’ai énormément appris à vous lire, et espère bien que ça continue. Exeunt H2O (non sans avoir essuyé des pertes spectaculaires, pratiquement à la mesure des gains des années précédentes), adieu OPCVM chatoyants aux frais mirobolants (et dont les VL semblent frappées de Covid long), in ETF we trust ; de tout ça je vous suis reconnaissant. Ainsi, désormais, 80% S&P500, 20% NASDAQx2 (oui, je sais, beta-slippage… et pourtant, il monte), value-averaging mensuel, pour 50% de mes actifs.
Alors, quand vous vous êtes mis à parler PER, j’ai étudié la question et constaté que même s’il est peu probable que ma TMI baisse un jour (et loin de moi l’idée de m’en plaindre), la perspective de pouvoir reporter la fiscalité en faisant dans l’intervalle fructifier la différence justifiait que j’en ouvrisse un dans la perspective de l’achat de ma RP.
Or, si je comprends votre enthousiasme à l’idée que la Société Géniale disrupte le marché avec MATLA, car il me semble, sans être un grand connaisseur du milieu de la banque de détail, que la démarche de Bourso a plus de potentiel que celle, déjà plus toute jeune, de la création d’une ligne d’ETF par la BNPP sous sa propre marque, je ne m’explique pas que vous promouviez si fort un PER aussi rigide et ne mentionniez pas plus souvent ceux, bien plus profonds et flexibles, que proposent d’autres acteurs (je pense en particulier au Crédit Agricole et à ses PER Spirica).
Bref, sur ce coup là, je ne vous suis pas complètement.
Ai-je loupé un élément important ?
Merci encore pour votre travail de vulgarisation. Et pour votre humour !

Pas de « maître » entre nous, non sum dignus. J’ai en effet consacré un billet à MATLA, uniquement en raison de la force symbolique d’un PER en pilotage automatique (la meilleure solution pour toutes les personnes ne souhaitant pas piloter elles-mêmes cet instrument complexe) à moins de 1% de frais totaux. Il y a bien entendu des produits très corrects et peu chers en gestion libre, mais toute personne s’estimant capable de gérer elle-même son PER n’a sans doute pas besoin de moi pour les identifier. Par ailleurs, même MATLA tombe dans les infects travers dénoncés par le rapport du Comité consultatif du secteur financier publié en juillet dernier, à savoir ne pas mettre en accès libre les conditions contractuelles : il faut pour y accéder remplir maints écrans, ce qui est évidemment honteux. Je suis très honoré de vous compter parmi mes lecteurs !

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