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Ne m’appelez plus jamais « ESG »

J’ai souvent l’impression, en écoutant les discours commerciaux de certains gérants d’actifs, mais aussi de certains vendeurs de produits de placement, qu’avec un fonds ESG l’argent de l’investisseur va sauver la planète.

Je trouve l’ESG fort utile, mais je trouve aussi de tels discours commerciaux fort mensongers, ce qui me gêne terriblement. Il me semble en effet important de bien nommer les choses.

On se rappelle que Larry Fink, le dirigeant de BlackRock, le plus gros gérant d’actifs au monde avec des encours de 9425 milliards de dollars à fin juin 2023, avait été touché par la grâce de l’ESG dans sa lettre annuelle de 2019 aux dirigeants des sociétés cotées.

Depuis, la croisade insensée menée aux Etats-Unis par de nombreux gouverneurs républicains fort énervés contre l’ESG et contre les sociétés de gestion qui osent avoir une offre de fonds ESG — grotesquement qualifiées de « woke » — a conduit la plupart des sociétés concernées à repenser leur communication sur leur offre de fonds responsables.

En parallèle, les régulateurs sont en train d’affiner leurs définitions de l’écoblanchiment, ce qui va également inciter les sociétés de gestion proposant des fonds ESG à bien réfléchir à leur communication. Et par ricochet — du moins je l’espère — aux vendeurs de leurs produits de placement à faire de même.

BlackRock, ciblé aux Etats-Unis dans plusieurs états républicains et légèrement touché au portefeuille (4 milliards de dollars d’actifs perdus l’an dernier) a rapidement rectifié le tir : on ne trouvait aucune mention du terme ESG dans la dernière lettre de Larry Fink aux dirigeants de sociétés cotées, envoyée début 2023.

BlackRock vient récemment de clarifier son offre de fonds à destination des investisseurs désireux de s’exposer à la transition énergétique, ou d’investir dans celle-ci. De nouveau sans jamais employer le terme « ESG ».

Chez BlackRock, l’ESG est mort, vive le « transition investing ». A savoir « l’investissement dans la transition ».

Pour la société de gestion, « les clients dans le monde entier investissent dans la transition vers une économie bas carbone pour générer de la performance, gérer les risques, ou se conformer à des engagements. »

Pas pour sauver la planète.

Investir dans la transition c’est « investir dans l’optique de se préparer à, d’être aligné avec, de bénéficier de et/ou de contribuer à, la transition vers une économie bas carbone. »

Ce qui s’approche le plus de « sauver la planète » dans cette liste, c’est « contribuer à la transition vers une économie bas carbone ».

La société dirigée par Larry Fink vient par ailleurs d’annoncer qu’elle allait étendre le programme permettant aux investisseurs dans ses fonds de voter eux-mêmes lors des assemblées générales des sociétés en portefeuille.

A l’origine réservé aux investisseurs institutionnels, le programme « Voting Choice » va être ouvert aux particuliers investissant dans IVV, l’ETF iShares géant (343 milliards de dollars d’encours au 17 juillet 2023) répliquant l’indice S&P 500 ETF.

Ils pourront choisir entre plusieurs programmes de vote des deux grands cabinets de conseil spécialisés, Glass Lewis & Co et ISS. Ce dernier vient même de créer un nouveau programme en faveur des résolutions présentées par le conseil d’administration et la direction des sociétés. Sans doute pour éviter toute suspicion de wokisme.

La clarification apportée par BlackRock est la bienvenue : j’espère qu’elle va inciter les sociétés gérant des fonds ESG — je continue de les qualifier ainsi par commodité — sans expliquer clairement à quoi ils servent et sans démontrer leur impact réel, à s’en inspirer rapidement.

J’espère aussi — et surtout — que les distributeurs de ces mêmes produits cesseront de faire des promesses mensongères comme : « Votre épargne finance la transition écologique », alors qu’il y a belle lurette que les fonds actions, qui achètent ou vendent à d’autres investisseurs sur le marché secondaire, ne financent plus rien.

Ne m’appelez plus jamais « ESG ».

Cette chronique, rédigée le 17 juillet 2023, est parue initialement dans le numéro de septembre 2023 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de page, ni les liens.

Illustration : Timbre Paquebot France émis en 1962. Source : Alex Bernardini. Pour les fans de Michel Sardou, c’est ici.

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