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Le Grand Bazar de l’ESG

Comme Malraux ne l’a pas dit : le XXIè siècle sera responsable et durable ou ne sera pas. En revanche, Jean-Pierre Raffarin a bien prononcé ces puissantes paroles : « notre route est droite, mais la pente est forte. »

Cette raffarinade résume parfaitement l’histoire actuelle de l’ESG. Et pourtant, tout le monde veut faire de la finance responsable et durable pour sauver la planète, même et surtout Larry Fink, le patron de BlackRock, qui chante dorénavant les louanges du capitalisme des parties prenantes.

A l’ère de ces dernières, le vilain capitalisme actionnarial théorisé par Milton Friedman serait mort et enterré. La fable est tellement belle qu’on a envie d’y croire.

Mais le réel, têtu, ne corrobore pas cette trop belle histoire. Et les coups les plus rudes viennent des endroits les plus inattendus, comme du Wall Street Journal, le vénérable quotidien des affaires créé aux Etats-Unis en 1889. Pas vraiment un repère d’altermondialistes verts.

James Mackintosh s’est intéressé à une étude de professeurs1 de la Harvard Law School sur les opérations de fusion et acquisition aux Etats-Unis pendant la pandémie. Le moment où jamais pour prendre soin des parties prenantes.

Sur les 116 opérations pesant plus d’un milliard de dollars recensées, pas une ne comportait de garantie sur l’emploi ou ne prévoyait d’indemnités supplémentaires pour les salariés qui seraient licenciés.

Quant aux actionnaires, ils n’ont pas été maltraités : la prime moyenne sur le cours de l’action était de 34% ; 98% des opérations offraient aux dirigeants de la société cible un bonus et près de la moitié offraient une meilleure rémunération à ces mêmes dirigeants.

Vous avez dit « capitalisme des parties prenantes », vraiment ?

Pour Mackintosh, le capitalisme des parties prenantes, c’est la même chose que le capitalisme actionnarial, avec un smiley en plus pour amuser la galerie.

Les ennuis de l’ESG continuent quand l’on veut identifier les fonds ESG.

L’une des sources est Morningstar. Cette société créée à Chicago en 1984 par Joe Mansueto est un des principaux fournisseurs de données et d’analyses sur les produits de placement (fonds, actions). Ayant de longue date identifié le potentiel de la finance responsable et durable, elle a racheté en juillet 2020 Sustainalytics, un des pionniers de la notation ESG.

Morningstar affecte un attribut ESG aux fonds sur la foi de critères qui lui sont propres et en analysant les documents des sociétés de gestion.

Le Financial Times a révélé que Morningstar avait fait au 4è trimestre 2021 un grand ménage dans sa base de données des fonds ESG pour en exclure 1200 produits domiciliés en Europe, représentant la bagatelle de 1400 milliards de dollars d’encours, soit environ 1234 milliards d’euros.

Ces fonds avaient été considérés dans un premier temps comme ESG. Après une « revue exhaustive » des documents relatifs à ces fonds — ce qui laisse à penser que cette revue n’avait initialement pas été faite, ou été mal faite —, Morningstar a conclu que certains n’étaient finalement pas des fonds ESG.

Les encours des fonds ESG de droit européen ont ainsi fondu de 3400 milliards à 2030 milliards de dollars à fin septembre 2021.

La plupart des fonds concernés par ce nettoyage promeuvent des caractéristiques environnementales et/ou sociales et sont donc article 8 au sens de SFDR (les fonds article 9 ont pour objectif l’investissement durable). Rappelons que ce sont les sociétés de gestion qui déclarent à quelle famille appartiennent leurs fonds.

L’investissement responsable et durable, c’est bien, mais c’est pour le moment un énorme bazar, notamment à cause du flou des définitions des familles de fonds SFDR.

Les promesses de Larry Fink ou des sociétés de gestion n’engagent que ceux qui les écoutent. Les sociétés de gestion ayant bien compris que l’ESG faisait vendre se sont ruées sur les articles 8 et 9. Les investisseurs et les intermédiaires vont devoir soulever le capot afin de s’assurer que la réalité correspond à la promesse.

Cette chronique est parue initialement dans le numéro de mars 2022 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de pages, ni les liens.

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Illustration : Susan Q Yin sur Unsplash

  1. Lucian A. Bebchuk, Kobi Kastiel et Roberto Tallarita.

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