Il fait chaud, je vais brider ma logorrhée liminaire pour maintenir la température au minimum (28° quand même).
Allez, un peu de fraîcheur avec Thomas Pesquet qui a survolé la Patagonie.
Sur les traces de Francisco Coloane avec la Patagonie vue du ciel, à la frontière entre Chili et Argentine https://t.co/HyODzszJVE #proxima pic.twitter.com/Cft4t5YvSQ
— Thomas Pesquet (@Thom_astro) May 22, 2017
Bienvenue à toutes et à tous dans ma semaine Twitter 21 de 2017, pensez à boire.
Smart Beta et Data Mining
Dans le débat gestion active contre gestion passive, un nouveau-venu s’est récemment immiscé : le smart beta.
Pour résumer, le « marché » que cherchent à battre les gérants actifs, c’était par convention un indice capi-pondéré, où le poids des valeurs était proportionnel à leur capitalisation boursière.
Le smart beta, ou strategic beta, cherche à briser le lien entre poids et capitalisation tout en suivant des règles précises.
Pour battre ce marché, la littérature universitaire a identifié de nombreuses « anomalies » en matière de valorisation depuis les années 1960.
Parmi les principales anomalies : les petites valeurs font mieux que les grandes ; les valeurs peu chères (« value ») font mieux que les valeurs chères (« growth ») ; les valeurs qui ont récemment le plus monté font mieux que les autres (« momentum »).
Les facteurs de surperformance ont proliféré au fil des années avec l’augmentation de la puissance de calcul. Les sociétés de gestion s’en sont emparé pour lancer des produits dits « smart beta », avec la promesses implicite de faire mieux que le « marché » (à savoir l’approche traditionnelle capi-pondérée).
Trois universitaires, Kewei Hou (Ohio State University), Chen Xue (University of Cincinnati) et Lu Zhang (Ohio State University et National Bureau of Economic Research) ont cherché à répliquer les études ayant conclu à l’existence d’anomalies. Leur étude est accessible ici en anglais, elle est aride et ses résultats sont inquiétants.
#smartbeta : quand on regarde de plus près les anomalies, elles disparaissent https://t.co/3UQqfy2Lw5
— AlphaBetaBlog (@AlphaBetaBlogFR) May 22, 2017
Ils ont répertorié 447 anomalies identifiées dans le passé par d’autres chercheurs. Après avoir refait les tests, 64% d’entre elles ne sont pas significatives avec un intervalle de confiance de 95%. Les 36% d’anomalies qui passent le test du temps, représentant 161 facteurs, ont une magnitude très inférieure à celle qui avait été calculée par l’auteur ou les auteurs de l’étude d’origine.
En durcissant les conditions de fiabilité statistique (p-value de 3 pour les amateurs), ce sont 85% des anomalies qui ne sont plus significatives.
Les gérants d’ETF smart beta s’appuient sur des backtests toujours très convaincants par définition (si le backtest n’était pas convaincant, le produit ne serait pas lancé).
Il incombe donc à l’investisseur de s’assurer que le facteur promu est robuste et n’est pas le fruit de la trituration des données du passé (le « data mining » dans le jargon statistique).
Primes de risque : séparer le bon grain de l’ivraie
Sans transition (en fait, la transition est excellente !) : Mark Hebner et Tom Allen de Index Fund Advisors se sont intéressés à ces primes de risque (autre nom des facteurs utilisés par les fournisseurs de produits dits smart beta).
Index Fund Advisors est un conseiller en investissements financiers (« registered investment advisor ») utilisant pour ses clients exclusivement les fonds de Dimensional Fund Advisors, qui exploitent depuis près de 40 ans des anomalies ou primes de risque en répliquant des indices propriétaires.
Les deux praticiens se demandent à quoi on reconnaît une « bonne » prime de risque, à savoir une anomalie de valorisation que l’on peut exploiter durablement dans son portefeuille.
Comment identifier qu'une prime de risque est exploitable ? https://t.co/DtZF2bo43G via @IFAdotcom
— AlphaBetaBlog (@AlphaBetaBlogFR) May 25, 2017
Ils identifient cinq critères.
- Cette prime de risque a-t-elle un sens économique ? Peut-on instinctivement comprendre pourquoi cette prime de risque permettrait aux investisseurs d’obtenir une meilleure performance ?
- Cette prime de risque persiste-t-elle pendant différentes périodes ?
- Cette prime de risque est-elle présente sur différents marchés (par exemple sur les marchés dits développés et sur les marchés dits émergents) ?
- Cette prime de risque existe-t-elle encore si l’on modifie légèrement les critères ? Imaginons que la prime de risque pour les petites capitalisations ait été identifié en considérant que les petites valeurs sont les 10% les plus petits de l’univers. Est-elle encore présente si l’on restreint l’univers des petites valeurs aux 5% les plus petits du même univers ?
- Cette prime de risque peut-elle être capturée de façon économiquement viable dans un portefeuille ? La plupart du temps, les études universitaires concluant à l’existence d’une prime de risque ne tiennent pas compte des coûts de transaction. Ceux-ci existent et réduisent d’autant la prime de risque. S’ils lui sont supérieurs, la prime de risque n’en est plus une.
Heureux comme un investisseur en fonds
Les lecteurs fidèles de ce blog savent que les investisseurs aux Etats-Unis vendent massivement depuis des années les fonds chers, qui sont généralement des fonds gérés activement, pour investir tout aussi massivement sur des fonds peu chers, qui sont généralement des fonds indiciels.
L’effet sur les frais de tous les types de fonds est spectaculaire, ce qu’illustre le graphique ci-dessous, émanant de l’Investment Company Institute, une structure représentant les gérants d’actifs aux Etats-Unis.
Heureux comme un investisseur en fonds aux Etats-Unis, où les frais baissent depuis 20 ans https://t.co/2vEA9eCtQm pic.twitter.com/XlVcgjo2nX
— AlphaBetaBlog (@AlphaBetaBlogFR) May 23, 2017
Entre 1996 et 2016, les frais moyens pondérés des actifs des fonds actions gérés activement sont passés de 1,08% à 0,82% (-24%) ; ceux des fonds obligataires gérés activement de 0,84% à 0,58% (-31%) ; ceux des fonds actions gérés passivement de 0,27% à 0,09% (-67%); et ceux des fonds obligataires gérés passivement de 0,2% à 0,07% (-65%).
« Glücklich wie Gott in Frankreich » disaient les Allemands (« Heureux comme Dieu en France »).
« Heureux comme un investisseur en fonds aux Etats-Unis » en serait l’avatar contemporain.
Asness : le vice paie plus que la vertu
Cliff Asness est le co-fondateur d’AQR Capital Management, une société de gestion quantitative états-unienne. AQR CM met à la disposition des investisseurs des stratégies traditionnelles et alternatives dans des enveloppes de type mutual fund (OPCVM) et gérait 187,6 milliards de $ au 31 mars 2017.
Dans un post récent, Asness s’est fait de nombreux amis dans la communauté de l’investissement ESG (Environnement, Social, Gouvernance) utilisant une approche excluant les « mauvaises » valeurs.
Le point de vue sur l'#ESG de @CliffordAsness va déplaire à certains, mais il faut le lire avec attention : https://t.co/L6YS4GwaZ1
— AlphaBetaBlog (@AlphaBetaBlogFR) May 24, 2017
Qu’écrit Asness, par ailleurs esprit subtil et excellent chercheur ?
Que ce segment de l’ESG promeut son approche sur des critères principalement moraux, en évitant les « sin stocks » (les actions du péché), voire des secteurs entiers, tout en affirmant qu’une telle approche permet d’obtenir de meilleures performances.
Pour Asness, la poursuite de la vertu doit se faire au détriment des rendements attendus, ce que les investisseurs ne semblent ni comprendre, ni accepter.
Selon lui, les sociétés de gestion promeuvent la vertu comme un déjeuner gratuit (terme financier – « free lunch » en version originale – servant à décrire une situation dans laquelle l’investisseur peut profiter d’un surcroît de performance sans risque) auprès d’investisseurs qui ne demandent qu’à croire à cette histoire.
Lisez ici la suite de son argumentation, elle est assez décoiffante mais suffisamment solide pour que je la mentionne.
Au fait, AQR Capital Management a une offre de fonds ESG, Asness ne décrie donc pas cette approche mais un certain discours qu’il considère à la fois angélique et mensonger.
Marchés émergents et risques
On considère les pays dits émergents comme une brique dans une allocation d’actifs, ce qui sous-entend qu’il s’agit d’un univers homogène.
Il est loin de l’être, comme le montre cette infographie de Visual Capitalist, s’appuyant sur des données du Schwab Center for Financial Research appliquées à la composition de l’indice MSCI Emerging Markets au 31 mars 2017.
- La sensibilité à la situation des marchés développés.
- La sensibilité à leur propre économie domestique.
- La sensibilité à l’évolution des taux de change.
- La sensibilité au cours des matières premières.
Un graphique vaillant plus que tous les discours, je vous laisse analyser les risques des différents pays de l’indice. L’article est consultable ici.
Et si on créait nos propres indices ?
Se demanderaient les fournisseurs d’ETF selon un article de Robin Wigglesworth et Stephen Foley du Financial Times.
On dit souvent que lors des ruées vers l’or, ce sont les fabricants de pioches qui s’enrichissent.
Si la montée en puissance de la gestion passive est une espèce de ruée vers l’or, les fabricant de pioches sont les fournisseurs d’indices.
En effet, leur modèle de facturation est directement proportionnel aux actifs gérés par les fonds qui répliquent leurs indices. Quelques points de base (un point de base étant égal à 0,01%) sur des centaines de milliards de dollars, ça finit par faire de grosses sommes (voir ci-dessous).
Les deux journalistes du Financial Times croient donc savoir que les principaux fournisseurs d’ETF aimeraient bien réduire le coût des indices.
En 2016, le chiffre d’affaires réalisé pour l’activité indices s’est élevé à 639 millions de $ (571 millions d’€) pour S&P DJ Indices, 613,6 millions de $ pour MSCI (548 millions d’€) et 409 millions de £ (468 millions d’ €) pour FTSE Russell.
Indices: les fournisseurs d'#ETF aimeraient bien se passer de S&P, FTSE et MSCI https://t.co/M2HHYPv8Ub par @RobinWigg @stephenfoley
— AlphaBetaBlog (@AlphaBetaBlogFR) May 26, 2017
Comment faire pour contourner ces acteurs indispensables ? Créer et calculer des indices, c’est en effet un métier, et un métier très technique.
Tout simplement en créant une coopérative permettant de mutualiser les moyens et de réduire les coûts. Bien entendu, aucun des grands acteurs interrogés par les journalistes du FT n’a confirmé l’existence de quelque projet que ce soit.
On notera que quelques émetteurs d’ETF créent leurs propres indices, notamment dans le secteur du smart beta. C’est par exemple le cas de BNP Paribas Theam ou de Goldman Sachs Asset Managment (on parle de « self indexing »).
Le meilleur de la conférence annuelle CFA Institute
Je vous avais dit la semaine dernière tout le bien que je pensais du programme de la conférence annuelle de CFA Institute qui se tenait à Philadelphie.
Elle a tenu ses promesses.
Bonne nouvelle, de nombreuses sessions peuvent être consultées gratuitement en ligne ici.
Ma sélection :
- le show de Jack Bogle, fondateur de Vanguard bientôt nonagénaire et nouveau héros de l’investisseur aux Etats-Unis ;
- la présentation de Richard Thaler, un des papes universitaires de la finance comportementale ;
- L’entretien avec Robert Shiller, professeur d’économie à l’université Yale, et lauréat du Prix de la Banque de Suède en sciences économiques (improprement appelé Prix Nobel d’Economie) en 2013.
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Ici se termine ma semaine Twitter 21 de 2017. A la semaine prochaine.