Dans ma chronique du mois dernier j’écrivais que les mâchoires du piège Value for Money étaient en train de se refermer. Je ne croyais pas si bien dire : on a appris début novembre que BNP Paribas Cardif allait déréférencer 41 produits.
Mais au fait, c’est quoi « Value for Money » ?
C’est une notion introduite par l’Union européenne dans le cadre de la stratégie d’investissement de détail (Retail Investment Strategy, ou RIS), stratégie par ailleurs combattue par tous les lobbies financiers partisans du statu quo et des produits de placement trop chers.
Value for Money, c’est le bon vieux rapport qualité/prix, qui doit être satisfaisant pour le consommateur.
L’ACPR avait averti les assureurs en décembre 2022 par la voix de son vice-président Jean-Paul Faugère de la nécessité de faire le ménage dans les unités de compte ne répondant pas aux critères de la Value for Money :
Tous les signaux semblent donc indiquer qu’un mouvement des professionnels serait opportun voire nécessaire. Ce mouvement devrait se caractériser par une double exigence de transparence et d’autoévaluation.
France Assureurs avait reçu le message cinq sur cinq et avait invité « ses membres à renforcer, à compter de 2023, l’examen des unités de compte (UC) référencées hors titres vifs dans ces contrats en comparant les frais de chaque UC à un niveau de référence. »
« Renforcer », pour laisser croire que les assureurs s’étaient déjà préoccupés dans le passé du niveau des frais des unités de compte avant de les référencer.
Sur les unités de compte existantes, France Assureurs suggérait à ses membres d’utiliser le seuil de 50% au-dessus de la moyenne des frais des fonds comparables pour examiner la performance nette de frais des fonds concernés. Et un seuil abaissé à 33% pour les unités de compte susceptibles d’être référencées.
C’est donc BNP Paribas Cardif qui a dégainé le premier, en publiant une liste de 41 fonds sur lesquels aucun versement libre ne sera plus possible à partir du 15 novembre.
A côté de fonds de grandes sociétés de gestion internationales (Franklin Templeton, Invesco, JPMorgan AM), on retrouve surtout des produits de petites sociétés de gestion françaises ayant des frais courants élevés et des performances relatives à 3 et 5 ans mauvaises.
Certaines d’entre elles facturent en outre les scélérates commissions de mouvement, honteuse exception française, qui ne seront interdites qu’à partir du 1er janvier 2026 et coûtent aux porteurs de parts environ 500 millions d’euros par an, sans aucune justification, et sans que les intermédiaires que sont les compagnies d’assurance vie et les vendeurs de produits de placement ne s’en soient jamais émus.
Alors qu’on aurait pu attendre de la part des « conseillers » financiers qu’ils défendent les intérêts de leurs clients.
Au Royaume-Uni la version locale du Value for Money s’appelle la « Fair Value » (« valeur juste ») et s’inscrit dans le cadre du Consumer Duty.
Entré en vigueur le 31 juillet 2013, le Consumer Duty a déjà conduit des plateformes de distribution de produits de placement à déréférencer les fonds ne rendant pas un service satisfaisant aux consommateurs. Parfois à la demande des sociétés de gestion elles-mêmes !
La FCA a écrit aux gestionnaires de patrimoine et aux courtiers actions pour les informer que sa supervision serait dorénavant « plus affirmée, intrusive, proactive ». Elle a constaté que certains avaient des frais très élevés : « Nous allons mettre au défi les sociétés de justifier des frais aussi élevés. »
Se pourrait-il qu’après des décennies d’exploitation des consommateurs de produits et de services financiers le vent se mette à tourner et que l’on protège enfin le faible des abus du fort ?
Les immortelles paroles de l’eurodéputée française Stéphanie Yon-Courtin, qui cherche à détricoter la RIS (« il faut arrêter de mettre l’accent exclusivement sur le prix d’un produit financier »), sont à contre-courant du sens de l’histoire.
Parfois, il faut savoir ne pas être contrariant.
Cette chronique, rédigée le 13 novembre 2023, est parue initialement dans le numéro de décembre 2023 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de page, ni les liens.
Illustration : Manche à air le long de l’autoroute A40 près de la route de Cormorey, Saint-Cyr-sur-Menthon (source)