Jusqu’en juin 2019, le secret le plus mal gardé de l’écosystème de la vente de produits de placement en France s’appelait H2O AM. Co-fondée et dirigée par Bruno Crastes, la société de gestion basée à Londres délivrait depuis 2011 des performances très élevées avec une gamme de fonds à niveau de risque croissant.
En juin 2019, le paquebot H2O AM heurta un iceberg nommé Lars Windhorst. Ce dernier connut une heure de gloire précoce quand Helmut Kohl, alors chancelier, s’enticha de lui et emmena l’entreprenant adolescent dans un voyage officiel en Asie. L’adolescent ne confirma pas les espoirs mis en lui, enchaînant dépôts de bilan de certaines de ses entreprises, faillite personnelle et contentieux judiciaires avec ses créditeurs.
En dépit de son historique à la fois connu et peu flatteur1, Windhorst réussit l’exploit de convaincre l’équipe de gestion de H2O AM de miser sur plusieurs de ses sociétés en souscrivant à des obligations et en achetant des actions. Jusqu’à ce que le Financial Times révèle en juin 2019 la présence de ces actifs très peu liquides dans certains fonds de H2O AM.
Ce qui conduisit l’AMF à demander la suspension des fonds contaminés en août 2020 et à la création de véhicules pour recueillir lesdits actifs illiquides pour les vendre à un rythme compatible avec leur illiquidité : les célèbres side-pockets, gérés en extinction, avec une valorisation estimative initiale de 1,64 milliard d’euros.
H2O AM écopa en décembre 2022 de la sanction financière la plus élevée jamais prononcée par l’AMF (75 millions d’euros). Quant à Bruno Crastes et Vincent Chailley (ce dernier étant co-fondateur de H2O AM), ils eurent à payer respectivement 15 millions et 3 millions d’euros, Crastes étant interdit de gestion et de direction d’une société de gestion pendant 5 ans. H2O AM, Bruno Crastes et Vincent Chailley ont formé des recours devant le Conseil d’Etat.
Si Lars Windhorst est toujours aussi peu compétent pour développer les entreprises dont il est actionnaire majoritaire, il est toujours aussi talentueux pour ne pas rembourser ses dettes. Sa holding — Tennor — étant le seul acheteur potentiel des actions et des obligations illiquides, il est en position de force par rapport à H2O AM.
Au fil des mois, en l’absence de remboursement de la part de Tennor, la société de gestion abaissa les valeurs estimatives des side-pockets. Un miracle advint en janvier 2023, sous la forme d’un premier paiement : mais alors que le communiqué de presse de H2O laissait entendre que le remboursement de Tennor était de 250 millions d’euros, la somme effectivement perçue par les side-pockets fut de seulement 144 millions.
H2O AM cessa ensuite de mettre à jour les valeurs estimatives mensuelles des side-pockets, dans l’intérêt des porteurs de parts, bien entendu. La dernière publiée fut longtemps celle de fin février 2023.
Jusqu’à ce jour funeste de septembre où les capitaines du paquebot H2O durent se résoudre à un peu de transparence (source) :
En raison de l'absence de remboursements significatifs supplémentaires, [l]es valorisations [des side-pockets] ont été revues à la baisse.
Et pas qu’un peu : on passe d’une valorisation estimée de 945 millions d’euros à fin février à 567 millions d’euros à fin août. 378 millions d’euros sont partis en fumée.
Entre la valorisation initiale d’octobre 2020 et celle de fin août 2023, compte tenu du remboursement de janvier 2023, la moins-value latente sur les 7 side-pockets est de plus de 930 millions d’euros d’après mes calculs.
Le naufrage des side-pockets H2O se poursuit, inexorablement : le milliard d’euros de moins-values est proche et la perte maximum est de 1,5 milliard d’euros.
Le tout dans le silence assourdissant de tout l’écosystème, dont les vendeurs de fonds qui ont adulé H2O AM : il faut dire qu’ils ont fort à faire pour expliquer les déboires sur la valorisation de certaines SCPI. En attendant, dans quelques années, de gérer les déconvenues sur les fonds de private equity.
Cette chronique, rédigée le 20 septembre 2023, est parue initialement dans le numéro d’octobre 2023 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de page, ni les liens.
Illustration : Das Eismeer (La mer de glace) de Caspar David Friedrich (1823-1824), Kunsthalle de Hambourg.
- Le Monde avait consacré un article à Windhorst en août… 1996. Lucas Delattre, l’auteur, se posait cette question : « Petit génie du marketing ou imposteur de talent ? » On sait maintenant que Lars n’est ni l’un, ni l’autre : juste un menteur sans talent.