Le conseil financier remonte à la plus haute antiquité. La médecine également. Cette profession s’est dotée très tôt d’une charte définissant ses obligations vis-à-vis des patients, le serment d’Hippocrate1. Dans la version en vigueur actuellement en France, on peut lire ceci :
J’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences. […] Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire.
La santé est un des biens les plus précieux de l’être humain. Il est donc rassurant que les médecins soient soumis à des standards très exigeants, tant en matière de formation (initiale et continue) que d’éthique.
Dans la hiérarchie des besoins, le développement et la protection du patrimoine ne viennent pas loin derrière la santé. Et pourtant, il me semble que la profession du conseil financier est très, très loin d’être au niveau des médecins.
Aux Etats-Unis, les professionnels du conseil financier appartiennent à deux grandes catégories : les Registered Investment Advisors (RIA) et les broker dealers (courtiers).
Les premiers sont régulés par la SEC, les seconds par la FINRA. Les premiers sont soumis à un standard juridique (le fiduciary standard) leur imposant le devoir fiduciaire (fiduciary duty) vis-à-vis de leurs clients, les seconds sont soumis à un standard bien moins exigeant, le suitability standard (qui est celui qui prévaut en Europe).
Jason Zweig, l’excellent journaliste du Wall Street Journal, définit ainsi2 le devoir fiduciaire (c’est moi qui souligne) : « L’obligation pour le conseil financier d’être au moins aussi bon pour la personne qui le reçoit que pour celle qui le dispense – une idée tellement radicale que Wall Street fait feu de tout bois pour l’attaquer. »
Selon les termes de la SEC, dans le cadre de leur devoir fiduciaire, les RIA ont « une obligation fondamentale d’agir au mieux des intérêts de [leurs] clients, et de fournir des conseils en matière de placement dans leur meilleur intérêt. [Ils ont] vis-à-vis de [leurs] clients une obligation de loyauté pleine et entière et l’obligation de faire preuve à leur encontre de la plus parfaite bonne foi. »
Les broker dealers sont plus de 600 000, les RIA sont 12 000. Les broker dealers sont bien plus fréquemment sanctionnés par leur régulateur que les RIA. Les broker dealers sont principalement rémunérés par des rétrocessions alors que les RIA facturent majoritairement des honoraires. Les broker dealers sont des vendeurs, les RIA sont des conseillers.
L’administration Obama avait imposé le devoir fiduciaire à tous les intermédiaires quand ils vendaient des produits de retraite. L’administration Trump a promptement torpillé cette mesure.
La SEC, qui travaillait à un standard fiduciaire s’appliquant à tout intermédiaire fournissant des recommandations personnalisées (donc également aux broker dealers), vient de présenter sa Regulation Best Interest (Reg BI), qui n’impose que très peu de nouvelles contraintes.
Wall Street a gagné et jubile. Les organisations en faveur du devoir fiduciaire sont atterrées. C’est le cas de CFA Institute, dont les 150 000 membres ont déjà un devoir fiduciaire vis-à-vis de leurs clients. Quant au CFP Board, qui administre la certification CFP (Certified Financial Planner), détenue par plus de 180 000 personnes (dont 83 000 aux Etats-Unis), il a décidé d’imposer le standard fiduciaire à tous ses membres américains à compter du 1er octobre.
Comble de la bouffonnerie, certains courtiers employant des broker dealers certifiés CFP envisageraient d’interdire à ces derniers d’utiliser cette certification. On ne va quand même pas employer des courtiers qui doivent placer l’intérêt de leurs clients au-dessus de celui de leur employeur. On n’est pas des médecins.
Le standard fiduciaire est une idée neuve en Europe. Et si son heure était venue ?
Cet article est paru initialement dans le numéro de juillet/août 2019 de Gestion de Fortune.
Illustration : Girodet : Hippocrate refusant les présents d’Artaxerxès. Photo RMN-Grand Palais / Gérard Blot. Paris, musée d’Histoire de la médecine.
- Sébastien d’Ornano, le président de Yomoni, a imaginé ce que pourrait être un serment d’Hippocrate pour les banquiers.
- Dans son excellent et hilarant dictionnaire « The Devil’s Financial Dictionary ».