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Paru ailleurs

Le casse du siècle

– Quoi de neuf en 2024 ?
– Le H2Ogate.
– Comment, cette histoire n’est pas encore terminée ?

Eh non, cela fera bientôt 5 ans que le Financial Times — en révélant la présence dans plusieurs fonds gérés par H2O AM de titres illiquides émis par des sociétés du groupe Tennor — a donné le coup d’envoi d’une saga interminable.

Tennor, c’est la holding d’un homme d’affaires allemand, Lars Windhorst, qui pratique depuis qu’il est adolescent l’art de la cavalerie, ne rembourse pas toujours ses dettes mais réussit, tel le phénix, à renaître de ses cendres en trouvant de nouveaux prêteurs crédules.

Avec H2O AM, il a trouvé un accessoire de choix pour réussir le casse du siècle : plus fort que le hold-up du train postal Glasgow-Londres au Royaume-Uni en 1963, plus fort que le cambriolage de la Société Générale de Nice en passant par les égouts d’Albert Spaggiari en 1976.

Le tout dans le silence assourdissant du principal responsable : la société de gestion elle-même, dont les trois principes fondateurs sont la performance, la liquidité et la transparence. Mais aussi de l’écosystème assurantiel qui avait référencé les fonds H2O AM avant le démarrage du H2Ogate dans presque tous les contrats d’assurance vie en architecture ouverte.

Depuis la dernière chronique consacrée à cette interminable agonie dans le numéro d’octobre 2023 de ce magazine, la saignée a continué : H2O AM a dû se résoudre à baisser par trois fois les valeurs estimatives des side-pockets : fin août, fin septembre, puis fin novembre.

Ce sont 747 millions d’euros qui sont partis en fumée. Compte tenu de l’unique remboursement effectué à ce jour par Tennor, qui a eu lieu en janvier 2023 pour un montant de 144 millions d’euros (fort éloigné des 250 millions d’euros initialement annoncés par H2O AM), la moins-value latente depuis la création des side-pockets s’élevait à près de 1,3 milliard d’euros à fin novembre 2023.

La valeur résiduelle estimative des side-pockets est inférieure à 200 millions d’euros à la même date, et il est fort probable que la vraie valeur soit de zéro. Si c’est le cas, la perte totale pour les porteurs de parts de side-pockets sera de 1,5 milliard d’euros.

Ce montant ne tient pas compte des dépréciations effectuées sur ces titres par la société de gestion avant qu’ils ne soient transférés dans les side-pockets : je les estime à 800 millions d’euros. La perte totale maximum serait donc de 2,3 milliards d’euros confiés à H2O par des clients et misés par la société de gestion sur un homme à la (mauvaise) réputation connue depuis longtemps.

La société de gestion n’a pas jugé nécessaire de publier un communiqué à chaque dépréciation. Quant aux assureurs détenant pour le compte de leurs clients des side-pockets H2O dans leurs contrats, je crois que la plupart d’entre eux n’ont jamais informé les assurés des dépréciations de la valeur estimative des side-pockets.

Le H2Ogate est entrée dans sa phase judiciaire avec l’assignation de la société de gestion, mais aussi de Natixis IM, KPMG et CACEIS (considérés comme des « tiers de confiance »), par l’association Collectif Porteurs H2O (que j’ai conseillée entre novembre 2022 et avril 2023) devant le Tribunal de Commerce de Paris.

L’association demande réparation pour ses 6329 adhérents d’un préjudice total estimé à 717 millions d’euros.

Les deux journalistes du Financial Times qui avaient révélé l’affaire en juin 2019, Robert Smith et Cynthia O’Murchu, ont publié dans le FT Magazine du 20 janvier 2024 un très long papier intitulé « La ballade de Lars et Bruno ».

On y découvre comment Windhorst a d’abord séduit Vincent Chailley, un des co-fondateurs de H2O AM, puis Bruno Crastes lui-même, qui était à l’origine très réticent avant de succomber au charme du roi de la cavalerie.

Une inexplicable bromance, avec un mariage somptueux (celui de Windhorst), un yacht, un jet privé, le tout financé par les prêteurs invités au mariage.

Les porteurs de parts des fonds de H2O AM ayant financé Windhorst n’y étaient pas invités.

Cette chronique, rédigée le 22 janvier 2024, est parue initialement dans le numéro de février 2024 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de page, ni les liens.

Photo de Claudio Poggio sur Unsplash

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