Les habits neufs de l’empereur (Kejserens nye Klæder en danois) est un conte d’Hans Christian Andersen, l’auteur de La Petite Sirène, publié en 1837.
Deux charlatans prétendent savoir tisser une étoffe que seuls les sots ne peuvent pas voir. L’empereur leur commande un habit, afin de pouvoir connaître les hommes incapables de son gouvernement. Durant sa confection, ni le roi ni les ministres qui rendent visite aux charlatans ne voient l’habit, mais personne (l’empereur le premier) n’ose le dire de peur de passer pour un incapable.
Vêtu de son nouvel habit, l’empereur se promène au milieu de ses sujets, qui se tiennent cois. Seul un jeune garçon, encore innocent, ose dire qu’il lui semble que l’empereur n’a pas d’habit, ce dont tout le monde finit par convenir, sauf le roi qui poursuit sa marche.
Depuis 10 ans, le roi de la gestion active est nu, et personne n’ose le faire remarquer, parce que ce roi nourrit avec générosité ses courtisans, les distributeurs de produits d’investissement.
Deux grandes études s’attachent à mesurer la performance de la gestion active : SPIVA, réalisée par S&P DJ Indices, et le baromètre gestion active/gestion passive de Morningstar.
Les méthodologies diffèrent : SPIVA compare les fonds gérés activement à des indices S&P DJ là où le baromètre Morningstar compare les fonds gérés activement à la moyenne de la performance des fonds indiciels d’une même catégorie.
Si les méthodologies diffèrent, les résultats convergent : en moyenne et quelle que soit la durée d’analyse (y compris sur 15 ans), le taux de succès de la gestion active est très, très bas.
Pis encore, quand un fonds géré activement surperforme ses concurrents indiciels sur une période, la probabilité qu’il le fasse de nouveau sur la période suivante est très faible. En d’autres termes, la surperformance passée ne préjuge pas de la surperformance future.
Enfin, Morningstar a montré depuis des années que le moins mauvais prédicteur de la performance future, ce sont les frais. En d’autres termes, plus les frais sont bas, plus la performance future sera élevée.
Aux Etats-Unis, on a commencé à voir que le roi de la gestion active était nu à partir de la grande crise financière de 2008. Depuis, des centaines de milliards de dollars sont sortis des fonds gérés activement pour se porter sur les fonds indiciels à bas coûts, notamment ceux de Vanguard.
Ainsi, selon Morningstar, à fin mars 2019, la collecte nette sur un an des fonds indiciels s’était élevée à 454 milliards de dollars, la décollecte nette sur un an des fonds gérés activement à 305 milliards de dollars. Toujours à fin mars, la gestion indicielle représentait 49% des encours des fonds actions Etats-Unis, la catégorie reine.
Avec 2 ETF et pour 0,09% de frais de gestion annuels, il est aujourd’hui possible pour un investisseur américain de s’exposer à la totalité du marché actions mondial et à la totalité du marché obligataire mondial. Qui dit mieux ?
Les « vrais » conseillers financiers, ceux qui se font payer par leurs clients plutôt que par les fournisseurs de produits, ont été (et sont toujours) moteurs dans ces transferts massifs. Ces « vrais » conseillers sont placés sous le standard fiduciaire (« fiduciary standard », qui leur impose de placer les intérêts de leurs clients au-dessus de tout, là où les courtiers (« broker-dealers ») sont soumis à un standard équivalent à celui qui prévaut en France (« suitability standard »).
Je sais que les professionnels de la distribution de fonds en France sont très compétents, mais enfin, qui peut sérieusement prétendre être capable d’identifier à l’avance un gérant qui sera durablement surperformant dans les différentes classes d’actifs composant le portefeuille des clients ? Pourquoi ne voit-on pas l’énorme éléphant de la gestion indicielle assis dans le salon de l’écosystème de la gestion d’actifs ?
La vérité est simple et ne sortira pas de la bouche d’un enfant : cet écosystème est en France au service des producteurs et des distributeurs, les premiers rémunérant les seconds via des rétrocessions de frais de gestion, qui sont par conséquent fixés à un niveau très élevé par les sociétés de gestion.
La solution est simple : tout intermédiaire qui se prétend conseiller doit faire payer par sa prestation de conseil par son client plutôt que de laisser les sociétés de gestion fixer à sa place sa politique commerciale. Les frais de la gestion active baisseront et cette dernière retrouvera des couleurs face à la gestion indicielle à bas coûts et pourra se battre à armes moins inégales.
Pour une fois, les Etats-Unis montrent le bon chemin.
Cet article est paru dans le numéro de juin 2019 de Gestion de Fortune
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