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H2Ogate, Saison 2

Chassez l’affaire H2O par la porte pour ne surtout pas en parler, comme je l’avais mentionné dans ma précédente chronique, et elle revient par la fenêtre pour vous hanter.

La Saison 2 de la série la plus palpitante de la scène financière française vient donc de commencer, avec la mise à jour de la valeur estimative des fonds cantonnés, restée bloquée par H2O AM à fin août 2021, dans l’intérêt des porteurs de parts bien entendu.

Si vous avez manqué la Saison 1, je vous la rappelle : H2O AM avait souscrit à des obligations émises par les filiales du groupe Tennor, dirigé par Lars Windhorst, que le Financial Times décrit comme un entrepreneur allemand flamboyant habitué des tribunaux.

Peu liquides, ces obligations (et quelques actions de 2 filiales de Tennor tout aussi illiquides) ont conduit l’AMF à demander fin août 2020 à H2O AM de suspendre les transactions sur certains fonds, 7 au total.

Suspension qui prit fin avec la création de fonds cantonnés (les « side pockets ») pour chacun des fonds contaminés par les actifs illiquides, fonds gérés en extinction avec pour mandat de trouver un acquéreur aux obligations et actions liées à Tennor.

Sauf que ces titres n’ont qu’un acquéreur possible : Tennor. Une partie de poker menteur se joue donc entre la société dirigée par Lars Windhorst et H2O AM, conseillé, à la demande expresse de la FCA, le régulateur britannique, par un spécialiste des situations difficiles, Perella Weinberg Partners.

A droite, Lars Windhorst. A gauche, les porteurs de parts. Sous la table, H2O AM.
« L’Escamoteur », huile sur bois (entre 1475 et 1505), peinture attribuée à Jheronimus van Aken dit Jérôme Bosch, ou Jheronimus Bosch (vers 1460-1516). Musée municipal de Saint-Germain en Laye.

Toutes les émissions obligataires ont été restructurées en mai 2021 en une seule émission, dite « first super senior secured note » (FSSSN), émise par Tennor, portant intérêt au taux annuel de 4,5% et prévoyant la possibilité de remboursements intermédiaires avant le remboursement final début 2022.

L’opacité ne pouvant durer éternellement, H2O AM a dû mettre à jour courant janvier la valeur estimée des fonds cantonnés à fin 2021. Et ça n’est pas joli : par rapport aux valeurs estimées à la création de ces véhicules, la décote est de plus de 35% (et s’échelonne entre -13,75% et -43,43% selon les fonds). Ce sont près de 587 millions d’euros qui sont virtuellement partis en fumée.

Cette mise à jour a été rendue nécessaire par l’absence totale de remboursements partiels par Tennor, à qui les créanciers (dont H2O AM) avaient pourtant consenti une extension de maturité de 6 mois. Laquelle extension a permis à Tennor de convaincre un tribunal néerlandais de revenir sur la décision de liquidation prise à son encontre en première instance (source).

Dans cette affaire à la fois lamentable et interminable, une prolongation de 6 mois va donc se jouer. Profitons-en pour poser quelques questions aux acteurs de la Saison 2.

Qui paie les conseils retenus par H2O AM (Perella Weinberg et Linklaters) ? Les fonds cantonnés ou la société de gestion ? La décence voudrait que ce soit la société de gestion. Il serait particulièrement obscène que ce soient les fonds cantonnés, donc les porteurs de parts, qui paient. Je rappelle qu’à la création de ces fonds, H2O AM avait osé prévoir des commissions de performance.

Sur la base de quelles valeurs mensuelles estimatives les frais de gestion de H2O AM ont-ils été provisionnés entre le 1er septembre et le 31 décembre 2021 ?

Pourquoi y a-t-il toujours un écart de performance aussi important entre les parts R et SR de H2O Multibonds FCP, que ne peut justifier la différence de frais de gestion ?

Quel traitement les compagnies d'assurance vie ayant référencé les fonds H2O AM dans leurs contrats appliquent-elles aux fonds cantonnés pour percevoir les frais de gestion assurance ? Il serait décent de ne pas facturer de frais de gestion au titre du contrat sur ces véhicules à la dérive, puisque les assurés n’ont pas la latitude de les vendre.

Dans une affaire assez similaire, le scandale Woodford Investment Management, le régulateur britannique, aiguillonné par une commission parlementaire, vient d’annoncer la fin prochaine de son enquête, plus de 2 ans après le début des faits.

Ça promet.

Cette chronique est parue initialement dans le numéro de février 2022 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de pages, ni les liens.

Illustration : Emily in Paris (Emily à Paris au Québec), série créée par Darren Star et diffusée sur Netflix

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