Catégories
Paru ailleurs

La bascule

En 1976, une société de gestion inconnue du grand public — Vanguard, créée par Jack Bogle — lançait aux Etats-Unis le premier fonds indiciel à destination des particuliers.

L’initiative fut tournée en dérision par l’establishment de la gestion d’actifs. Laquelle gestion d’actifs était, à l’époque, à 100% de la gestion active.

Pour Ned Johnson, alors à la tête de Fidelity, il était inconcevable que la gestion indicielle puisse séduire des investisseurs en quête de performances extraordinaires :

Je ne peux pas croire que la majorité des investisseurs va se contenter de performances moyennes.

Pendant 20 ans, il ne se passa presque rien : la gestion active continuait de dominer les encours de la tête et des épaules. Mais dans la dernière décennie du siècle dernier, la gestion indicielle séduisit de nombreux investisseurs institutionnels.

Elle poursuivit sa lente et inexorable progression aux Etats-Unis pour représenter 30% des encours des fonds de long terme (hors monétaire) en 2015.

Il avait fallu plusieurs décennies pour que les investisseurs et leurs conseillers intègrent cette vérité fort simple énoncée par Jack Bogle, le fondateur de Vanguard :

Quand vous investissez, tout frais en moins, c’est autant de performance en plus.

De plus, les études SPIVA et Morningstar Active/Passive Barometer montrent depuis des années que la gestion active échoue collectivement à battre des indices ou des fonds indiciels sur moyenne et longue durées.

S’il y a toujours par construction des gérants actifs qui surperforment, ils ne sont pas nombreux, leur surperformance n’est pas durable et il n’existe pas de manière fiable de les identifier à l’avance.

Fin 2023 s’opéra une bascule historique : aux Etats-Unis, les encours des fonds indiciels de long terme dépassèrent pour la première fois ceux des fonds gérés activement.

En Europe aussi, la gestion indicielle progresse : d’après Morningstar, la collecte des fonds indiciels de long terme a été de 213 milliards d’euros en 2023, là où les fonds gérés activement ont décollecté à hauteur de 165 milliards d’euros.

Hors monétaire, la part de marché des fonds indiciels est passée de 23,77% des encours à fin 2022 à 26,73% à fin 2023.

En France, les « conseillers » financiers regardent ailleurs : il faut croire que leurs clients sont comme ceux de Fidelity en 1976 et ne veulent que des performances supérieures à la moyenne délivrées par des fonds gérés activement soigneusement sélectionnés.

Pourtant, selon John Rekenthaler, qui travaille chez Morningstar aux Etats-Unis depuis 35 ans, le secteur du conseil financier a été tiré vers le haut par la gestion indicielle :

La croissance de la gestion indicielle a forcé un secteur qui vendait avant tout son expertise en matière de sélection de produits de placement — d’abord les actions, puis les fonds — à se réinventer.

Pour Rekenthaler, le succès et la prospérité actuels du secteur du conseil financier aux Etats-Unis montrent que ce dont les investisseurs avaient vraiment besoin, ce n’étaient pas de meilleurs fonds — qu’ils ont fini par avoir avec la gestion indicielle à bas coûts — mais de tout autre chose : d’un meilleur service.

Aujourd’hui, la construction des portefeuille n’est plus un sujet pour la plupart des conseillers financiers aux Etats-Unis, qui proposent des portefeuilles-modèles utilisant des briques indicielles à bas coûts pour certaines classes d’actifs et des fonds gérés activement pour d’autres. Ces portefeuilles-modèles sont fournis par des prestataires tiers.

Les conseillers financiers aux Etats-Unis peuvent se concentrer sur le seul service : connaître leurs clients, les aider à structurer leur patrimoine, les accompagner dans les hauts et les bas des marchés.

Et surtout, aider les clients concernés à gérer la phase de décumulation qui advient après la retraite et qui est au moins aussi importante que la phase d’accumulation qui la précède.

Les Etats-Unis ont montré la voie, aux professionnels du conseil financier en France de la suivre.

Cette chronique, rédigée le 18 février 2024, est parue initialement dans le numéro de mars 2024 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de page, ni les liens.

Illustration : Grand Huit Blue Fire Europa Park, par JaHoVil

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.