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Et à la fin

c’est l’Allemagne qui gagne.

Gary Lineker, ex-footballeur anglais de haut niveau, est l’auteur de cette affirmation fameuse, fort heureusement devenue obsolète1 :

Le football est un jeu très simple : 22 joueurs courent après un ballon pendant 90 minutes, et à la fin, ce sont les Allemands qui gagnent.

Pour le paraphraser, j’ai envie de dire ceci au sujet de l’ESG :

L’ESG est un jeu dont les règles ont été fixées en Europe, et à la fin, ce sont les Etats-Unis qui gagneront. 

Aujourd’hui, c’est l’Union Européenne qui, suivant l’exemple de quelques pays pionniers dont la France avec son article 173 de la loi sur la transition énergétique du 17 août 2015, dicte son tempo en matière de réglementation de la finance au reste du monde.

Par exemple avec le règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure), entré en application le 10 mars 2021 pour les sociétés de gestion de portefeuille, qui crée 2 catégories de produits de gestion collective plus ou moins ESG : ceux qui promeuvent des caractéristiques environnementales et/ou sociales (produits dits « article 8 ») et ceux qui ont pour objectif l’investissement durable (produits dits « article 9 ») ; ainsi qu’une catégorie (« article 6) de produits n’ayant pas d’objectif de durabilité

Ou encore avec le Pacte Vert européen ou la révision annoncée de la NFRD (Non-Financial Reporting Directive, ou directive sur la publication d’informations extra-financières).

Mais comme tout cela est bien compliqué à expliquer, il faut des labels pour rassurer les clients. Comme ne l’a pas dit Mao Zedong : « Que 100 labels ESG fleurissent ! ».

Les labels nationaux inexportables ont donc fleuri en Europe : Label ISR et Label Greenfin en France, FNG-Siegel en Allemagne, en Autriche et en Suisse, LuxFlag au Luxembourg, Towards Sustainability en Belgique, Umweltzeichen en Autriche, Nordic Swan Ecolabel dans les pays scandinaves.

Dans toute ruée vers l’or, ce sont les fournisseurs de pelles et de pioches qui s’enrichissent, pas les prospecteurs.

Woman and Men in California Gold Rush in 1850

Les pelles et les pioches de l’ESG, ce sont les données extra-financières. De nouveau, l’Europe a été en pointe : Ethibel (devenue Forum Ethibel) a été créée en Belgique dès 1991, Sustainalytics aux Pays-Bas en 1992, Trucost en Angleterre en 2000, Vigeo (devenue Vigeo Eiris) en France en 2002, Carbon Delta en Suisse en 2015.

Ethibel est toujours indépendant (comment dit-on cocorico en Belgique ?) ; Sustainalytics appartient à Morningstar (??) depuis 2020 ; Trucost a été acquis par S&P DJ Indices (??) en 2016 ; Vigeo Eiris a été racheté par Moody’s (??) en 2020 ; Carbon Delta a été acquis par MSCI (??) en 2019.

Les Big Three de la création d’indices ? MSCI (??), S&P DJ Indices (??) et FTSE Russell (??).

Les Big Three de la gestion d’actifs ? BlackRock (??), Vanguard (??) et SSGA (??). Le premier d’entre eux, BlackRock (9000 milliards de dollars d’actifs sous gestion à fin mars 2021) avait annoncé en 2020 sa conversion à la lutte contre le changement climatique dans la lettre annuelle de Larry Fink — son président directeur-général — aux dirigeants des sociétés cotées2.

Le plus grand bassin d’épargne financière au monde ? Les Etats-Unis.

Le seul pays capable d’imposer ses normes, juridiques ou réglementaires, dans le monde entier ou presque ? Les Etats-Unis.

Les Etats-Unis, paralysés par l’administration Trump, n’ont pas fait grand-chose en matière d’ESG pendant 4 ans. C’est en train de changer.

La SEC a lancé en mars 2021 une consultation sur le reporting des entreprises en matière de changement climatique, pour affiner sa doctrine en la matière promulguée en 2010.

Le génie de l’ESG est sorti de la bouteille aux Etats-Unis, il n’y rentrera sans doute pas.

L’Union Européenne a une avance importante sur un sujet absolument vital. Je crains qu’elle ne puisse la conserver et ne doive se soumettre à une vision du monde de demain imposée par les Etats-Unis.

Et à la fin, c’est l’Oncle Sam qui gagne.

Cette chronique est parue initialement dans le numéro de juillet 2021 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de pages, ni les liens.

Illustration : Patrick Battiston à terre après avoir été agressé par le gardien de but allemand Harald Schumacher le 8 juillet 1982 à Séville durant la demi-finale de la coupe du monde de football entre la France et l’Allemagne, remportée par l’Allemagne aux tirs au but. Maudits tirs au but.

  1. Pendant l’Euro 2021, non seulement l’Allemagne a été sortie par l’Angleterre, mais l’équipe qui, depuis 1998, se mettait, à la fin, à gagner —  la France —, a été sortie par la Suisse. Tout se perd.
  2. J’en avais parlé ici dans une précédente chronique pour Gestion de Fortune.

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